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Tolérance zéro pour l'alcool au volant

Depuis le 15 avril, c'est tolérance zéro pour l'alcool au volant chez les automobilistes de 21 ans et moins. Une loi sévère, dont l'objectif est d'améliorer le comportement des jeunes conducteurs qui sont impliqués dans le quart des accidents avec dommages corporels chaque année.

À l'aide de Stéphane Maurais, directeur d'Alco Prévention Canada - entreprise spécialisée en détecteurs d'alcool -, nous avons soumis une vingtaine de chauffeurs désignés à un alcootest à leur sortie des bars jeudi dernier. Résultat: 10 des 17 volontaires avaient dépassé le taux d'alcool nouvellement prescrit. Récit. > L'heure de la fermeture approche au resto-bar Les 3 Brasseurs de Laval. Les jeunes commencent à sortir par grappes pour retourner à leur véhicule garé dans l'immense stationnement du Centropolis. Avant de monter dans leur véhicule, quelques volontaires devront d'abord se frotter au AQ-08 Pro de Stéphane Maurais, un détecteur d'alcool haut de gamme, notamment utilisé par les policiers. Quelques-uns résistent, se méfient, mais Marie-Pascale, 19 ans, et son ami Guillaume, 20 ans, se laissent convaincre. C'est le jeune homme, petit mais costaud, qui prend le volant. La fille souffle dans l'appareil que lui tend Stéphane Maurais, intensément, durant sept secondes. L'écran clignote, puis le résultat apparaît: 0,00. Elle n'a pratiquement rien bu. Au tour de Guillaume, qui dit n'avoir descendu qu'un gros bock et une pinte. Résultat: 0,091. «Je trouve que c'est un peu trop sévère!», ronchonne le jeune homme, en infraction.

Trop sévère, cette nouvelle loi? Oui, répond la majorité des jeunes interrogés dans le cadre de notre expérience. À commencer par ceux dont le taux d'alcool oscille entre le nouveau 0,00 et l'ancien 0,08, qui se considèrent déjà fort responsables de se limiter à quelques consommations pour raccompagner leurs camarades éméchés. Un peu plus loin, Olivia, brunette menue, marche vers sa voiture, accompagnée de l'ami qu'elle ramène. Elle dit n'avoir bu qu'une demi-pinte depuis une heure lorsqu'elle se met à souffler dans le détecteur. L'écran s'illumine: 0,11. Largement au-dessus de la nouvelle loi en vigueur, et même de l'ancienne. La jeune femme, l'air parfaitement sobre, tombe des nues. «C'est absurde avec tout ce qu'on entend, ces histoires de gens qui conduisent ivres. Je n'ai pratiquement rien bu!», plaide Olivia, avant de tourner les talons pour regagner sa voiture.

Le cliquetis d'un trousseau de clés nous entraîne un peu en retrait, où Frédérique, 18 ans, et ses deux amies trottent en gloussant vers une voiture. Frédérique détaille sa consommation de la soirée: deux verres de sangria en plusieurs heures. Parce qu'elle conduit, justement. Son taux de 0,00 fait apparaître un large sourire fier sur son visage, comme si elle venait de remporter quelque chose. Ses deux amies la félicitent chaleureusement, puis le trio repart. «Je trouve ça con!» Il est un peu plus de 1h du matin au bar La Citadelle de Sainte-Thérèse, un endroit pris d'assaut par les jeunes adultes.

La musique résonne dehors. Les clients commencent à sortir nombreux pour regagner leurs voitures. Une bouteille de bière vide tombe du deuxième étage de l'établissement et éclate à quelques pieds des jeunes qui grillent une cigarette devant la porte. Au même moment, Jean-Sébastien et ses amis quittent le bar. Le jeune homme de 19 ans calcule avoir bu quelques bières. L'appareil affiche 0,05. «C'est incroyable!», s'exclame-t-il. Il se sent néanmoins apte à prendre sa voiture et même à risquer de se faire intercepter par la police et de perdre son permis pendant 90 jours. Un peu plus loin, trois gars, les yeux vitreux, se dirigent vers le stationnement bondé. «On part en taxi», laisse tomber l'un d'eux, sourire en coin. Il est plus de 2h du matin. William, 19 ans, cède à la pression de ses amis éméchés et souffle dans la machine de Stéphane Maurais, un peu à contrecoeur. Son taux d'alcool affiche 0,078. Il avoue avoir bu quelques bières seulement et peste contre la nouvelle loi. «Je trouve ça con. On a le droit d'acheter de l'alcool, mais on ne peut plus en boire. Je ne suis pas en train de revirer une brosse, je ramène mes trois chums qui sont pas mal plus chauds que moi», résume William. Comme plusieurs jeunes interrogés ce soir-là, il croit que la nouvelle politique en matière d'alcool chez les jeunes sera un coup d'épée dans l'eau.

Devant l'entrée emcombrée, un jeune prétend avoir «pété» trois fois la proverbiale «balloune» policière. «Je suis un multirécidiviste!», se vante le client, un verre de bière à la main. Son comportement détonne avec celui d'un autre client du bar qui passe derrière au même moment, complètement sobre. «Mon chum s'est tué en char il y a deux semaines. Mettons que ça sensibilise...» «Je suis juste trop fini...» De retour à Laval, c'est le last call au Skratch, salle de billard populaire du boulevard Curé-Labelle chez les jeunes. Karolanne, 18 ans, s'en va avec ses amis, croisés un peu plus tôt au bar Les 3 Brasseurs.
Son taux d'alcool se chiffre à 0,014, ce qui est raisonnable, mais trop élevé. «Je suis vraiment apte à conduire», déplore celle qui dit n'avoir bu qu'une bière et un shooter. Derrière le petit groupe, un jeune couple avance bras dessus, bras dessous en titubant jusqu'à une voiture garée. Le jeune homme extirpe, non sans peine, un trousseau de clés de sa poche et entreprend tout aussi péniblement de déverrouiller sa portière, tandis que sa compagne fixe le vide, appuyée contre le véhicule du côté passager. «Salut, on mène une petite expérience pour La Presse. Est-ce qu'on peut vous faire passer un alcootest gratuitement avant de prendre la route?» -Non, je suis juste trop fini...», marmonne-t-il candidement, avec les yeux brouillés, avant de partir au volant de sa voiture.